L’homme amoureux prend repos auprès d’une maison couvertes de feuilles rouges. Un arbre l’accueille pour accompagner sa solitude. Il y voit la présence de sa bien aimée, couverte peu à peu par les feuilles tombantes.
Ma bien aimée
Dans le flot des feuilles tombantes, j'aurais aimé que vous succombiez au nombre, et je vous aurais devinée, cachée au creux d'un amas qui vous aurait en partie recouverte. En elles, vous auriez peut-être trouvé la protection du coussinet et les garnitures de votre sommeil, mon espoir aurait été qu'elles vous apportent la sérénité en contre-influence aux sollicitations de la journée, Mais vous avez certainement laissé les fleurs vous approcher afin qu'elles deviennent rouges de confusion, puis de quelques petits souffles, vous les avez éloignées pour que les premières tombent à votre contour, et non sur votre robe couleur d'automne. Assise au pied de l'arbre non loin de la maison en pierres, vous y retrouvez les mêmes feuilles. Votre robe forme des courbes sur le sol, et les feuilles tombent ainsi en en respectant les lignes, bientôt une dentelle se formera jusqu'à prolonger votre robe en tenture naturelle, telle une cire rouge prenant doucement tout l'espace qui lui est offert, telle une lave qui s'écoule du volcan dont votre visage est l'énergie interne.
Lorsque l'on est un homme, j'allais dire simplement un homme, et que l'on voit cette beauté du monde se positionner devant nous comme la force éternelle de l'harmonie du vivant, nous nous agenouillons pour renoncer à l'orgueil et à la valeur des sciences, nous nous inclinons pour livrer notre vie à plus beau et plus puissant que nous, même s'il fallait que celle-ci s'arrête en cet instant. J'ai donc été chagriné par vos jeux d'enfant soufflant sur les feuilles rouges pour qu'elles ne tombent sur vous, sans doute avez-vous considéré que chacune d'elle était un messager de mon amour pour vous et qu'il valait mieux à ce titre les tenir à distance de courtoisie. Je vous ai vue prendre la tige de l'une d'entre elles entre vos doigts, détenir son destin selon la fantaisie de vos sentiments pour moi. Excuse de jeunesse à votre profit, je crois bien vous avoir aperçue presser l'endroit le plus tendre de la feuille entre vos doigts, jusqu'à déchirer la victime selon ses nervures principales. Je me souviens d'avoir fait ainsi lorsque j'étais un garnement, mais à cette époque, je ne comprenais pas ce que je faisais.
Mais, me croirez-vous, ma bien aimée ? Même si de votre tendre jeu, mes sentiments, hier palmés, deviennent démembrés, même si ne restaient que les tiges livrées aux vents froids, coulerait toujours dans les couloirs étroits de leur vie secrète, quelque sève qu'une simple pluie transformerait en semence pour la prochaine saison. N'avez-vous pas vu des poussières de feuilles s'incruster à la frontière de vos ongles et de vos doigts ? Il y a des interstices que vous ne pourrez plus atteindre, si tant est que vous en ayez la volonté. A dénuder ainsi mes sentiments de vos doigts, vous aurez laissé des poussières de moi habiter en vous. Privé de mes voilages, je ne pourrai plus jamais m'envoler sans vous, ayant pour seule fin de vie, celle d'être déposé au seuil de vous-même, immobile, attendant la recomposition des saisons, qui fera de moi, une nouvelle graine prenant logis dans une terre bientôt aidée par les pluies. Le temps de votre sommeil, la graine fera arbre, l'arbre fera branches, les branches feront feuilles rouges, et l'une d'entre elles retombera un jour sur vous, pour vous dire que je vous aime.
Ce soir, ma solitude, parfois volontaire et salvatrice, mon isolement, parfois involontaire et inévitable, m'ont guidé jusqu'à ces mots. La maison aux feuilles rouges n'a pas encore tout dit de vous, ni de moi. Pour la nuit qui vient, loin de vous, je vous aimerai en feuilles rouges. Même sans.
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