L'homme amoureux écrit une demande en mariage, en s'imaginant dans le rôle de Guénolin, devant une gitane
Mademoiselle
Vous m’avez ouvert la main, pour qu’elle éclose.
Vous l’avez déposée, le creux vers le ciel, en appui sur vos doigts, tandis que de l’autre main, vous déployiez les miens encore fermés sur eux-mêmes, dans une articulation qui vous fit sans doute croire qu’elle était souffrante.
Je me suis senti confus de vous voir alors commuer votre tunique blanche en blouse de femme soignante, donnante votre foi à guérir des doigts qui n’avaient de servitude que celle d’avoir gardé le chapelet pendant tant d’années. Car le jeune homme que je suis eus sa jeunesse dans la dévotion de Saint-Guénolé, abbaye où mes frères d’adoption me donnèrent l’amour Bénédictin, celui des prêches qui ont ruisselé jusqu’à moi égrenant les vers récités, comme les grains d’ivoire autour de ma main. J’en fis tant mon eau que je ne supposais pas qu’une grâce eut pu m’inviter hors des arcades de mon refuge.
Mais, revenons à vous. Vous m’avez ouvert la main, vous dis-je, pour que la sève coule. La lisant, c’est comme vous aviez pris mon cœur dans vos linges de soin. Je n’écris pas vous demander de me le rendre, mais pour le langer d’un drap subsidiaire. Peut-être n’avez-vous pas souvenir qu’avant de lire mes lignes, vous en fîtes le tour, décrivant ainsi la même courbe d’ordinaire dessinée par mon chapelet autour de ma main, comme si vous l’aviez deviné. Puis, vous avez retourné ma main, faisant de même pour vous, dévoilant ainsi la paume de la vôtre, restée secrète jusqu’alors.
Est-ce une inflation sémantique que de dire qu’à cet instant, l’émotion me gagna à mesure que je me découvrais lecteur de votre passé. Votre main agissait comme un miroir translucide où le passé et le futur se mêlaient dans une même image. J’y ai lu vos jeunes frères œuvrant aux vendanges, votre grande sœur liant ses espoirs d’une vie moins ardue aux promesses de napperons vendus en porte-à-porte. J’ai deviné votre père aux genoux serrant le rempaillage d’une chaise, et vos amis aux doigts meurtris découpant des vieilles carcasses métalliques. Mais, j’ai aussi perçu votre musique entourée de costumes, livrée au ciel comme autant de prières pour tous les démunis de la Terre. Mon chapelet tremblait de concert. J’ai prié avec vous aux vibrations du violoncelle allègre ou chagrin, aux frissons des guitares tambourinées de joie et de piété, et j’ai chanté avec vous au-dessus des craquements de feux de camp soumis aux mains des charbonniers. Les danses me prirent avec elles, vous en étiez la flamme.
Lorsque les farandoles qui nous embrassaient prirent fin, j’ai levé les yeux vers vous, vous les aviez déjà sur moi, car votre lecture était achevée. C’est alors que le feu reprit, cette fois dans la profondeur de nos regards, comme dans le silence du peintre qui prépare sa toile.
Mademoiselle venue du soleil gitan, vous avez ouvert ma main pour que le sang brûle. Je mets à vos pieds pour toute fortune un collier de grains d’ivoire pour entrelacer votre vie à la mienne. Il était chapelet, il deviendra chevalet au chevet de nos nuits. Et durant nos jours, nous soutirerons aux mendiants leur titre de détresse, car ils ne le seront plus, nous allouerons aux voyageurs des routes embourbées leur grade de dignitaire, car nous en sommes tous dignes. Et nous laisserons au Roi la primeur de son trône, pour peu qu’il me laisse épouser une reine, vous, ma gitane, mon épouse.
Je vous ai offert ma main, vous m’avez ouvert la vie. Je vous offre la seconde pour vous ouvrir à l’amour, car, cette fois-ci, lorsque vos doigts déplieront les miens, apparaîtra la brillance d’une alliance, qui vous dira que j’ai l’honneur de vous demander votre main.
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