L’homme amoureux, tourmenté par la peur de perdre sa bien aimée, retrouve l’espoir par quelques mots qu’elle lui a écrits.
Ma bien aimée
J'avais assemblé des morceaux de bois à défaut de pièces de puzzle, pour couvrir l'espace des connaissances humaines. Il m'arrivait bien sûr de renforcer l'épaisseur jusqu'à créer plusieurs couches, mais bizarrement, non pas dans les zones fragiles mais plutôt dans mes domaines de facilité. Si bien qu'en sortie de ma phase d'acquisition, tout indiquait que j'avais en main les pièces structurant ma connaissance du monde.
J'avais le sentiment d'être devant ces jeux pour très jeunes enfants, constitués d'un socle en bois, creusé sur un centimètre, permettant à des figurines, allant de l'éléphant à l'escargot, de trouver leur place au sein d'un ensemble afin de constituer une scène de la nature. Avec les années, les emplacements étaient devenus modulables voire incertains, selon ma propre volonté. Le socle était le monde, les figurines étaient mes grilles de lecture de ce dernier. La grosse pièce qui se calait sur un bord du cadre, était le mérite, sorte de pierre angulaire filtrant tout sur son passage, comme étape préalable. Cette pièce taille éléphant étant posée, je posais la seconde grandeur hippopotame, celle de la volonté farouche, cette qualité qui devait me permettre de m'approprier un savoir jusqu'à l'épingler à titre d'exemple. Cette pièce trouvait sa place, généralement au barycentre de l'ensemble. Puis, en fin de course, dans les espaces restants, là où l'on se demande ce que l'on peut y mettre, j'y insérais en forçant un peu, en les tournant dans le mauvais sens si besoin, en les mettant en quinconce jusqu'à ce qu'ils m'obéissent, les pièces de l'intendance humaine, des sciences humaines que je considérais sciences occultes.
A l'âge adulte, ma vie me fut livrée dans une petite valise en plastique, avec à l'intérieur 6 cubes en bois. Sur chaque face, une portion de dessin, de telle sorte que 6 dessins pouvaient apparaître sous condition de tourner convenablement chaque cube à la bonne place. 6 dessins qui présentaient : La fuite et l'apaisement, la fatigue et la réussite, la solitude et l'amour. Encore une fois, je m'acharnais surtout sur les combinaisons pour lesquelles j'avais des dons particuliers, il me suffisait de lancer les cubes en l'air pour qu'ils retombent invariablement sur des dessins que je connaissais trop. Il m'arrivait parfois de tricher quelque peu pour trouver les bonnes permutations pour faire apparaître l'image de l'amour, ce qui me donnait l'occasion d'un rôle de composition passager.
Le puzzle a gagné en nombre de pièces, les dessins ont changé, mais le principe est resté identique. Les faces de lumière côtoient toujours les faces de doutes, à la différence que le jeu est désormais équilibré. Les cubes sont plus lisses, ils permutent avec justice, sans que le passé n'intervienne autant qu'il le fit. Encore une différence qu'il faut mentionner, c'est que mon rôle a perdu la primauté.
Encore aujourd'hui, il s'est passé quelque chose d'étrange. Mes peurs se sont assemblées à mes troubles comme lors d'un alignement de planètes. Mes troubles liés à ma bien aimée, pour qu'il ne lui arrive rien, et pour que je ne la perde pas. Alors, j'ai appelé ma raison à ne pas imaginer l'inconcevable, mais le combat était là.
Et puis un message de vous dont il semble bien que l'objet profond fût moi-même avant d'être un argument de circonstance. Et puis, les mots choisis qui ciblent directement le cœur. Alors, en trois mots, vous a tourné l'un des cubes pour me présenter la première facette de l'amour, et les autres cubes ont suivi comme par effet domino. Je ne tournais plus les cubes, j'ai reconnu votre main le faire pour moi. Mais, par tous les cieux, qui êtes-vous ? Qui est cette personne pour me connaître autant ? Quel est cet enfant qui en connaît plus que les grands ? Quel est cette femme qui me donne un amour consistant à changer les facettes des cubes de mon puzzle intime ?
Ce soir, j'ai fouillé dans les boites de rangement laissées dans le garage. L'une d'entre elles est la maison des jouets en bois. Le premier à tomber dans mes mains fut le puzzle des animaux de la ferme, avec la poule, le lapin et leurs amis. C'était le jeu qui me convenait, chaque pièce est destinée à une place unique, idéal pour m'aider à ranger les choses de ma vie. Rapidement solutionné, j'ai pris le second jeu qui venait. Un jeu de 9 cubes, pour toujours 6 dessins. Je ne l'avais jamais vu, du moins, je n'en ai pas souvenir. Des couleurs claires, d'autres sombres. Intrigué, j'ai commencé à permuter les cubes pour y faire apparaître des lignes identifiables. Pris d'impatience, j'ai légèrement secoué l'ensemble, les cubes ont légèrement dodelinés puis sont sortis de leur emplacement. Secouant un peu plus, ils ont échangé leur place, et présenté une face, au hasard. Le hasard appartenant aux mains des cieux, les cubes ont miraculeusement dessiné le visage d'un ange.
Votre visage, celui d’une femme, ma passion, qui sait, quand je suis malheureux, tourner un cube de ma vie.
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