L'homme amoureux écrit une demande en mariage, en s'imaginant peintre en lettres
Demoiselle en ombrelle,
Les lettres ont pris place dans l'encadrement boisé de la devanture. Mes préparations au crayon ont suivi les esquisses, pour autant ce sont d'elles dont je suis inquiet. J'avais pourtant hissé mon exigence à celle que nécessite un travail conçu pour les honneurs du roi, j'avais préparé la pâte pour dessiner des modelés expressifs, signe que la journée était destinée à me faire vivre avec les personnages de Monet. Mais je ne sais si les lignes d'ébauche n'ont pas souffert des émotions de notre rencontre, car avant vous, je n'avais rien commencé.
L'un de mes maîtres-artisans m'avait enseigné que la main n'agit jamais aussi bien que lorsqu'elle est livrée au cœur de celle que l'on veut aimer, mais en vérité, cette main n'appartient plus à l'artiste quand l'art vient à sa rencontre pour l'emporter plus haut encore. A cette heure de la fraicheur du matin, c'est votre parole qui est venue à moi, pour inspirer et faire mon devoir. Je ne suis que Peintre en Lettres, et je fus soudainement projeté à la table d'écolier que mes yeux d'enfants parcouraient comme un espace infini. Comme durant ces jeunes années, je me suis vu appliquer mes soins et ma passion au profil de chaque lettre, mais aujourd'hui plus encore à leur bordure, à leur couleur et à leur relief. Si bien que j'ai l'honneur de les soumettre à votre assentiment, étant considéré que si elles ne convenaient pas à votre goût, je serais prompt à tout refaire.
Je ne peux voir dans notre rencontre l'unique expression du hasard, je vous avoue même avoir toujours douté de son existence primordiale, au sens où il ne peut être à la source de la création, qui elle, - que les heures consacrées à mon métier en disent humblement l'expérience - est toujours l'œuvre d'un amour ou d'une âme. Si l'on laisse le hasard aux tâches accessoires, il faut accepter l'idée que nous avons été aidés à nous rencontrer. Sans doute m'avez-vous vu démuni, cinq marches au-dessus de vous, affublé d'un cale-pied pour seule raison de ma hauteur d'observation sur la perspective. Sans doute avez-vous ressenti que mon travail pouvait souffrir d'un manque de sens, sans doute saviez-vous qu'il manquait un peu de vous, sans doute, connaissiez-vous l'histoire avant sa première lettre.
Au sein de jours semblables aux vallonnements monotones, l'incursion d'une pointe de votre ombrelle dans les plis de ma blouse de travail m'apporta des émotions dont les couleurs manquaient à ma palette de peinture. Me retournant, j'ai vu votre main se détacher de l'ombre portée de votre ombrelle. Vu de mes yeux, il s'agissait d'une prolongation de dentelles à un nuage de neige, dont votre robe blanche plissée était l'enveloppe. J'ai alors agi avec empressement pour rejoindre votre main, dans l'unique intention de vous aider à nous décrocher l'un de l'autre, et j'ai craint de basculer hors de mon échelle par le déséquilibre que j'avais provoqué. Je voudrais ici vous témoigner, qu'au retour à ma position initiale, je n'étais déjà plus l'homme que je fus. Vous avez murmuré "Je vous remercie, je vous souhaite une belle journée et que vos lettres éblouissent nos jours". Votre regard a feint de me regarder et a disparu. Si bien que, si mon corps a retrouvé l'équilibre, mon cœur l'a perdu à tout jamais, et c'est dans ces termes que je vous écris aujourd'hui.
Je ne suis pas de votre ville, je suis du rocher qui abrite le village voisin, il est mon abri autant qu'il fut jadis ma falaise, logis d'un monde où les paysages parlent avant qu'il soit question de lire ou d'écrire, si bien que j'ai senti le destin m'interpeler lorsque vous m'avez invité à vous éblouir de mes lettres peintes, ce que mes rêves n'auraient oser espérer. Puisque le ciel me semble être favorable, la marchande de broderies où votre ombrelle a sa jumelle voudra certainement vous remettre cette lettre, que je lui présenterai comme papier personnel qui vous aura échappé à l'occasion de notre rencontre accidentée.
Accordez-moi qu'il ne serait pas harmonieux que votre voix ne soit pas associée en moi à votre regard, d'autant pour que mes inspirations puissent vous être dédiées, il faut que vous m'en donniez la clé. Depuis ma venue en ces terres, je n'ai que cartes postales et bouts de journaux pour percevoir le souffle extérieur, mes pinceaux racontent les troubles du monde mais il me manquait encore celui qui me fait vous aimer. Mon art est soumis au cloître de la décoration de maisons bourgeoises en complément à la noble ébénisterie, je sais que vous en ferez un être vivant.
Chère Demoiselle à l'ombrelle, je n'ai à vous offrir que de l'huile de lin, de l'essence de térébenthine, et des doigts qui ne savent tenir que de doux pinceaux. J'ai conscience que c'est bien peu pour vous conter la beauté de la vie, mais soyez assurée que chaque jour, mes lettres chercheront la vérité par un geste sacré, comme peut l'être le sabre pour le samouraï, le temps pour la mythologie, ou encore comme l'est désormais votre cœur pour le mien.
Notre rencontre fut si furtive que je veux vous demander de l'éterniser, nos deux mains ont voulu nous décrocher car elles ne savaient pas encore comment s'approcher, je pense être dans le vrai si j'envisage que la vôtre a vécu la même attente que la mienne, j'ose donc vous proposer de leur prescrire une prolongation à hauteur d'une vie entière.
Alors, nous traverserons les lettres comme nous franchirons les toiles. Mon atelier deviendra le vôtre, et sur le ventre distendu d'une ancienne toile, nos deux mains en proximité l'une de l'autre, presseront le papier jusqu'à l'ouvrir par de frêles déchirures. Nous laisserons le hasard en définir les détours et décrochages aléatoires, et nous serons à la manœuvre pour décider de la découpe principale. Car la ligne qui apparaitra est celle que je souhaite vous offrir. C'est celle du sensible, de l'intelligible et de l'amour, c'est celle que je n'ai jamais su commencer avant vous, celle de deux êtres qui se sont trouvés.
Peut-être me faudra-t-il vous l'écrire en enseigne de vos nuits et de vos jours.
J'ai l'honneur de vous demander votre main.
« Écrire, c’est poser son cœur sur le papier »
« Il ne faut pas peindre ce que l’on voit, il faut peindre ce que l’on ressent ».
On écrit l’histoire et son histoire avec des lettres qui deviendront des mots tout comme un peintre peint une toile avec un pinceau mais, c’est avant tout le cœur qui dicte le tracé, la ligne et le contour que l’on a choisi de faire car, seule, cette sensibilité là….est...Vérité…
J’aime énormément ce thème abordé qui est plein de délicatesse.
Quand l’artistique….rejoint l’artistique…
Restera à écrire une demande ou une lettre à thème.. sur la musique...dans la sonorité d’une symphonie de Frédéric Chopin….
Elisabeth.