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Nos rencontres à Venise

L’homme amoureux propose, à sa bien aimée, une première puis une seconde rencontre romantique, à Venise.



Première rencontre


Ma bien aimée


Une conviction se rapproche de moi, elle me dit que nous ne nous sommes pas encore rencontrés. Nous nous sommes à peine entrevus, c'est-à-dire vus par des failles d'entraves posées entre nous. Si vous voulez bien remonter le temps avec moi, nous allons nous retrouver dans un cadre connu de personne, si ce n'est des autochtones. Le hasard ne peut être le dépositaire de notre sort, notre histoire ne peut être laissée dans les mains de l'imprévu, qui transformerait aisément, si on la laissait à l'abandon, notre destinée en fatalité. Puis-je entretenir l'espoir que vous acceptiez d'oublier tout ce que vous connaissez de moi, et recréer les conditions du premier regard ? Vous ne pourriez qu'en tirer avantage, car les mots reprendraient leur virginité, l'esprit de chacun serait délivré des malentendus, et mon cœur retrouverait sa prédisposition, dans l'espoir que le vôtre s'ouvre aux attentes qu'il n'a pas encore su exprimer.


Tantôt, au cours des heures sages de l'obscur, dans la nuit reliant la veille au matin de ce jour, je me suis senti quitter un songe pour venir vers un autre, car voyez-vous, je pressentais vous y trouver. Peut-être ai-je cru à mes propres croyances, car, pour vous imaginer près de moi, il ne reste plus que cela. En ce lieu où tant d'hommes amoureux ont connu leur supplice, je me savais prêt à affronter le verdict du temps, laissant le probable de côté, pour gagner le camp du possible, je vous ai vue m'attendre, même si seul mon cœur me parlait, et que mes yeux, à défaut de données tangibles, m'ordonnaient la vigilance. A l'éveil de ma raison, je vis, au loin, le pont aux nuages qu'il me fallait traverser pour rejoindre la Basilica di Santa Maria della Salute, peut-être étiez-vous assise à un banc, espérant mon passage auprès de vous.


La nuit eut l'ingéniosité de ne pas dévoiler la nature de l'instant, elle sembla fraiche lorsque mes pas sonnèrent sur les pierres blanches des allées, et plus indécise, lorsque je foulai les parterres d'ornements, veillant à ne toucher aucune fleur s'y trouvant, me préparant ainsi à faire de même avec vous. Puis, longeant les eaux, au fur et à mesure que je comptai les bateaux restés à quai, je devinai ceux qui étaient encore en chemin et qui allaient faire chavirer les navigateurs aux amours enfouis. "Combien d'amoureux comme moi ont tenté leur chance devant des femmes comme vous ?" me disais-je. J'ai eu beau regarder les gondoles solitaires, je n'en vis aucune marquée du souvenir d'un amour fusionné, d'une rencontre accomplie, ni même de regards qui se soient accostés l'un à l'autre. Si bien que j'ai pensé renoncer. Allais-je être le suivant à succomber au charme de la lagune alors que je pensais l'être que de vos yeux ?


J'arrivai bientôt à mon port de destination, c'est-à-dire vous. Il me tarda de savoir s'il serait mon lieu de naufrage, ou celui de votre conquête. Durant les cent derniers pas, plus aucun bateau n'était à quai, ils avaient dû tous périr en mer. Mon cœur débordant de crainte, assuré d'être sans recours, je continuai à avancer, mais n'arrivai plus à savoir mon chemin. Je compris que les réverbères constituèrent mon dernier cordon de sureté. Ils avaient assurément été posés à cet endroit pour cette fonction, guider les passionnés aveuglés par l'amour qu'ils attendent. Mon chemin entrelaçait les ombres et les lumières, et il me sembla que les réverbèrent s'espacèrent de plus en plus. Et, en extrémité d'épuisement, je vis une ombre dans la pénombre.


Je m'arrêtai à hauteur du dernier réverbère situé avant quelques bancs en pierre. Je restai debout, appuyant ma main droite sur le corps métallique qui filait vers le ciel, espérant qu'il puisse ainsi m'aider à sortir des ténèbres. Je camouflai une partie de mon corps derrière lui, espérant parvenir à préserver ma discrétion. C'était certainement vous, assise à quelques pas de moi.


Ce n'était pas un rêve, car je ressentis votre présence plus qu'aucun de mes rêves me l'avait fait vivre auparavant. Je me tins de plus en plus au réverbère car mes jambes étaient sur le point de se défausser. C'était vous, cette ombre lumineuse dans son contour, dérobant à votre seul profit, toute la beauté des monuments de Venise.


"Comment est-ce possible, qu'une seule beauté puisse dissoudre en un seul être, celles qui avaient dominé ces lieux, pendant des siècles ?" me disais-je. Je jetai un regard derrière moi vers la Basilique, et je la vis se dénuder de sa fierté et acter sa propre défaite. Je vis les gondoles se réunir autour de moi, je compris qu'elles se préparaient à me porter secours. Ou peut-être, l'un d'entre elles espérait-elle être la première à accueillir la prochaine romance. Je n'avais pas encore quitté ma position de repli. Mais, tout à coup, je compris qu'à rester en l'état, j'étais le seul acteur de la pièce à être visible. "Je suis bien trop exposé !", me suis-je dit. Et c'est cela qui m'a convaincu à faire un pas de plus. Après deux pas, un premier banc se présenta à moi. Il était seul. Vous aviez choisi celui situé au centre des deux autres. Pour le moins, il m'offrait l'alternative de m'y asseoir plutôt que de poursuivre une aventure, qui, de seconde en seconde, m'enflammait le cœur. Mais, je décidai de le laisser de côté, et d'aller vers vous.


Vous étiez assise, le regard se portant vers les maisons du port, le dos aux gondoles comme pour leur signifier vos caprices à leur égard. Vous aviez les jambes légèrement croisées, simplement par les pieds se chevauchant, et vos mains, posées sur l'arrière du banc, soutenaient l'inclinaison du dos vers l'arrière. Un véritable chef-d’œuvre. Cette position ne me facilitait pas la tâche. Je ne me sentais pas de taille à venir devant vous, et je ne pouvais plus m'enfuir. Déjà pendant mes derniers pas, j'avais songé à m'asseoir en votre proximité, mais le regard dirigé vers la mer. "Au moins, celle-ci saura-t-elle donner écho à mon émotion", me disais-je. Je pensais m'asseoir derrière vous, mais l'inclinaison que vous aviez prise me l'interdisait, si bien que je pris le bout du banc, préférant au dernier moment, orienter mon corps à votre perpendiculaire, fixant la ligne des réverbères, et prenant conscience du même coup du chemin parcouru. Soudain, un sentiment de gloire m'envahit, si ce n'est qu'il me restait à affronter votre présence. Je n'avais pas préparé mes premiers mots, quel idiot. J'en avais rêvé depuis tant de temps, et me voilà désemparé par défaut d'imagination.


Preuve que j'avais une chance d'être aimé de vous, c'est vous qui dîtes les premiers mots. Je doutais que vous pensiez qu'il s'agissait d'un autre, mais assurément, mon choix de m'être mis en pleine lumière avait détruit toute chance d'anonymat. De toutes façons, ma respiration me trahissait à chaque seconde. Autant de choses qui donnaient à vos premiers mots les vertus d'un souffle inespéré.


"Elle m'attendait" me disais-je. Une observation fugace sur l'étendue du ciel m'indiquait que les étoiles avaient choisi d'être en petit comité, ce soir, vous ne m'attendiez que depuis quelques minutes. Et, je ne sais pas ce qu'il m'a pris, peut-être les conséquences d'une fatigue qui m'invitait à aller à l'essentiel, peut-être le vertige d'un sommeil écourté, peut-être encore, les gondoles que j'entendais frissonner, mon cœur n'entendit aucune retenue que ma raison lui insufflait, et je vous répondis :


"Ma bien aimée, vous m'attendez depuis quelques instants ; mais, moi, je vous attends depuis mon premier jour".


Me sentant coupable de vous avoir fait attendre, je mis devant votre jugement, toutes les épreuves que j'avais endurées pour vous retrouver : mon âme engourdie ne trouvant pas le sommeil, la courbure du pont aux nuages aussi haute qu'un arc-en-ciel, les réverbères dévoilant les pièges et cachant les indices, et enfin, ma propre timidité à ne savoir que dire. Je sentis que vous me pardonniez. Si bien que je m'autorisai une question : "Puis-je croire que vous soyez intéressée à me lire ?". Au bout de quelques instants, vous me répondîtes : "Je suis en phase de l'être".


Je compris que je ne pouvais vous aimer qu'en vous écrivant, alors je pris ma voix la plus sincère, et vous dis "Alors, j'entre volontiers, moi aussi, en phase de lettres". Et depuis cette nuit, j'ai tous les jours envie de vous écrire.


Chacun comprit qu'il était déjà temps de se retirer pour laisser les mots prendre leur envol. J'ai senti un sourire de votre part, qui me disait que vous vous sentiez aimée. Nous nous quittâmes sur ces mots, sans avoir échangé le moindre regard, dans l'attente de notre seconde rencontre.


Seconde rencontre


Ma bien aimée,


Je souhaite vous expliquer quelle différence il y a entre nous, dans la symbolisation que nous faisons de l'amour. J'en sais suffisamment sur vous pour pouvoir maintenant prendre la parole. Pour autant, vous imaginez bien que j'ai besoin d'un contexte pour cela, il serait pédagogiquement inefficace de plaquer devant vos yeux, des vérités contraires, sans le secours d'un environnement sur lequel m'appuyer. C'est la raison pour laquelle, il est heure de nous rejoindre, pour notre seconde rencontre, à Venise, entre deux réverbères. Ce sont les mêmes que ceux de la dernière fois, sauf que la nuit est ce soir plus établie, et c'est dans ces conditions que votre cœur va une nouvelle fois devoir résister aux murmures du clapotis des vagues mourantes sur les gondoles.


Dieu que je vous ai attendue pour me rejoindre. Où étiez-vous, ma bien aimée ?


Un jour, le monde modifiera la nature de ses éléments constitutifs pour que les émotions, et parmi elles la souffrance, puisse se propager de l'un jusqu'à l'autre. La consistance de l'air mutera un jour vers un magma légèrement solide de telle manière à ce que le flux du cœur puisse s'y incruster et garder son empreinte jusqu'à vous. Il me suffira alors de tendre le bras vers le ciel pour atteindre un nuage, suffisamment léger pour rester en sustentation aérodynamique, et suffisamment visqueux pour garder l'application de moi-même, comme le moulage de mes afflictions, dans les trois dimensions. Ma bien aimée, dans chacune d'entre elles, je mettrai la noblesse de la création sculptée, mais je crains qu'en la recevant, vous n'y voyez que les stigmates d'un animal fossilisé. Pour chacune d'entre elles, je donnerai la vie troublante que j'ai en moi, mais je crains, après son voyage, qu'elle n'ait plus que la forme brouillée d'une poésie fanée. Pour moindre consolation que j'en attends, la propriété mémorielle de ce nuage viendra à mon bénéfice me présenter quelques secrets de vos sentiments pour moi. Et s'il me faut les extirper, je les extirperai.


Mais, pour l'heure, dans l'attente de cette mutation du monde, je vous propose de vous raconter comment notre seconde rencontre, sous les réverbères, s'est déroulée.


Depuis le matin, j'étais à l'œuvre pour approfondir les données de ma conscience, et j'y ai cherché mes zones de liberté où je pouvais encore évoluer sans l'emprise de mon amour pour vous. J'avais identifié en moi deux espaces propices à reprendre le pouvoir sur moi-même : Celui de la lecture symbolique, et celui de la croyance. J'avais décidé, cette fois-ci, d'arriver sur les lieux, en devançant l'appel, pour prendre le temps d'affaiblir l'émoi du dernier pas, et aussi pour ne pas revivre l'embarras de ma dissimulation derrière le réverbère.


Je suis arrivé alors que la nuit tardait à tomber, elle semblait hésiter à donner son assentiment à notre rencontre. Je pense qu'elle balbutiait une position de principe, entre la responsabilité qu'elle prenait à nous permettre de poursuivre, et son engouement à nous enrôler dans son armée de l'ombre, ceux où se perdent tous les amoureux éperdus. Mais ma patience eut raison de ses errances, elle a finalement consenti, que dis-je, elle a cédé devant l'impératif que je lui présentais. J'ai marché, jusqu'à notre point de rendez-vous, sans empressement, freinant plutôt mon pas de temps à autre, luttant contre ma propre appréhension. Je laissais ma main glisser sur les garde-fous qui longent le port, leur donnant, par ma seule présence, la pleine raison du nom qu'ils portent. Car, à l'approche de l'heure tant attendue, mes sondes intérieures révélaient que la raison était sur le point d'épouser la folie. Je vous aimais déjà tellement.


En arrivant à quelques mètres des trois bancs, celui qui nous appartenait était occupé par un couple, plus exactement par un assemblage de deux personnes, communiant leurs regards vers une carte géographique qu'ils tenaient dans leurs mains. Que pouvaient-ils chercher au sein de ces graphismes inertes, si riches en indications, et si pauvres en investigations, si emplis de signes inutiles, et si décharnés d'invitations au voyage ? La chance fit qu'ils trouvèrent rapidement leur chemin et se levèrent. Quittant les lieux, ils ne purent ignorer que j'en revendiquai l'appropriation, et lurent dans mes yeux que celle-ci était légitime et qu'ils ne pourraient plus jamais y revenir, sauf à en mériter l'obtention des droits. Lorsqu'ils me remirent les clés, la sanctuarisation de notre banc prit immédiatement effet, si bien que par ma seule pensée passionnée, je fis naître une auréole rose et blanche, telle une bordure protectrice l'enveloppant.


Désormais seul, je m'assis sur le banc, m'offrant ainsi la vue centrale sur l'embouchure de Venise. Preuve que la situation forge la pensée, je me vis soudainement en position dominante, en maîtrise du destin de chacun des marins et gondoliers qui ramenaient leur bateau à quai. Du regard, je leur montrai le chemin, leur évitai les embuches et les derniers gestes mal négociés. Fort de mon rôle, je fus soudain assuré d'une totale conscience des événements, et ainsi, les premières minutes m'attribuèrent le rôle ordinairement dévolu au gardien du port. Certaines embarcations arrivaient en solitude, débarquant des couples qui ne pouvait être que débarqués, alors que d'autres venaient doucement accoster comme deux êtres qui se rapprochent l'un vers l'autre pour se promettre leur vie. Et la romance me prit l'esprit, et je crois avoir vécu chaque arrivage autant que les acteurs eux-mêmes. Je fus tantôt l'homme amoureux devenant vagabond à la faveur du caprice féminin à prendre le risque de me perdre, et tantôt l'homme charmé s'envolant vers la passion d'une promesse à peine dévoilée du regard. Je n'étais déjà plus là.


Je ne dirais point que le son de vos premiers pas me fut désagréable, mais pour le moins, ce son n'était pas sur la même portée que ceux qui faisaient la symphonie de l'instant. En termes trop diplomatiques, je dirais qu'il annonçait la venue d'un nouvel instrument qu'il me fallait intégrer à l'orchestre. En termes trop idéalistes, je dirais qu'il sonnait comme vos doigts sur une porte, qui ne demandait qu'à s'ouvrir. En termes trop réalistes, il mettait un terme à mes songes amoureux portés par le cœur des autres, et me disait qu'il était temps que le mien se met à l'endroit du vôtre. Vous n'auriez pas dû me regarder. J'avais pourtant, durant les heures portuaires que je venais de vivre, assemblé toutes les forces entre elles, l'assurance du marin, et l'imperturbabilité des flots. Mais à sa sentir votre présence orientée vers moi, j'ai jeté l'ancre à la mer, serré les amarres, et mis mon visage au garde-à-vous. Soudainement, le capitaine prit les habits du mousse apprenti, les gondoles se disloquèrent me laissant comme seul espoir de survie quelques planches de bois malmenées par les vagues écumantes. Je n'avais qu'une envie, sauter d'un trait vers le garde-fou, m'appuyer sur lui pour me propulser au-delà du quai et m'enfuir. J'aurais bien trouvé l'une des planches me porter secours jusqu'à l'autre rive. Perdu pour perdu, j'ai suivi le rituel du gondolier, qui devance l'accostage en prenant pied sur la terre ferme, afin que ses hôtes ne subissent de contrecoup. Je me fais violence pour me lever, je me suis dirigé vers vous, et vous ai offert mon bras en support de vos derniers pas, et vous êtes enfin venue vous asseoir.


Vous voyant reprendre votre position contemplative, le corps à mi-chemin entre l'horizontal du banc et la verticale du ciel, je me suis demandé si vous aviez fait attention à moi. Le dos tourné au port, et la tête dans les étoiles, vous sembliez vouloir poursuivre votre voyage de la fois précédente. Toujours debout, à un pas du banc, je ne savais que faire. Puis, vous m'avez dit : "Mon bien aimé, venez vous asseoir". J'étais bien penaud devant pareille demande, que fallait-il faire ? Je ne voulais prendre le risque de mal interpréter votre phrase. Faute de précisions supplémentaires, je restai en place, prenant malgré moi, une fois de plus, le rôle de l'endimanché de Venise, tenant la pose mieux que les portiers des beaux hôtels qui ornaient le port. Je n'allais quand-même pas m'asseoir à vos côtés et tenter de reprendre à mon compte la position périlleuse que vous aviez choisie.


Quelques instants plus tard, vous m'avez répété : "Venez vous asseoir, vous dis-je !". Par précaution, ne souhaitant pas vous déranger, et également pour montrer une légère désapprobation, je vins m'asseoir dans le sens opposé, le regard vers le port, et le dos en position traditionnelle. Votre position m'interdisant de m'asseoir derrière vous, je choisis de m'installer de manière légèrement décalée. Très heureux de mon choix, je restai silencieux, en attendant toute autre directive. Votre tête se situant à la gauche de la mienne, en situation inversée, vous m'avez glissé : "Vous avez fait le bon choix, vous vous êtes assis où il fallait". Bien satisfait de votre approbation, je m'appliquais à ne faire aucune faute de comportement.


Puis, vous m'avez demandé l'impossible : "Penchez vous, comme je le fais, en additionnant nos deux regards, la totalité des étoiles sera à nous". Il s'agissait bien d'un défi impossible, car il me fallait positionner mes mains, derrière moi sans m'aventurer à frôler les vôtres, il me fallait incliner le dos jusqu'à la perpendiculaire au vôtre en préservant la neutralité de l'un par rapport à l'autre. Arrivé en position finale, songeant à la chorégraphie générale, je n’espérais qu’aucun passant n'allât s'interroger sur le sens théâtral de la scène. J'étais simplement inquiet que celle-ci ne fût susceptible d'être objet de curiosité et motif d'attroupement. Les secondes passèrent. Je restai à 90 degrés par rapport à vous, explorant ma partie de ciel étoilé. Pour rester à vos côtés, j'étais prêt à respecter ce rapport angulaire, jusqu'au bout de mes forces.


J'avais espéré partager avec vous, un même regard, un même rêve, les mêmes étoiles, mais vous aviez décidé qu'il en soit autrement. Chacun explorait l'univers dans une direction qui lui était personnelle. Si ce n'est une exception. En vue périphérique, il était éventuellement possible de percevoir une large image qui nous surplombait. Il s'agissait d'un flot d'étoiles, mêlées à des draps de couleurs, dessinant des formes particulières. "Arnaud, vous voyez cette constellation colorée ? C'est étrange, en suivant les zones sombres, on dirait un cœur.". Le regard toujours fixé à 45 degrés par rapport à l'horizontal, je ne comprenais pas qu'il me fallait regarder à l'aplomb, juste au-dessus de nos têtes. Était-ce une métaphore de votre part ? Était-ce encore des mots faciles ou des promesses gratuites ? Toujours est-il que pour contempler le même cœur que vous, j'étais prêt à tout.


L'invitation était trop parlante, le projet d'amour trop bouleversant, je décidai de me risquer à l'acrobatie. N'ayant pas compris que vous n'aviez seulement, momentanément, abaissé la tête - et le non le corps - vers l'arrière, pour offrir le cœur étoilé à votre regard, j'optai pour la solution radicale. J'inclinai le dos vers l'arrière, un peu plus, et encore un peu plus, jusqu'à bientôt permettre à mes yeux d'être à la verticale de l'espace infini. Mon dos s'inclina, mes mains reculèrent. Et le drame se produisit, je perdis appui, et je basculai de tout mon être vers l'arrière, offrant ainsi aux étoiles qui me contemplaient, le spectacle du ridicule. Après les trente-six étoiles, j'avais les trente-six chandelles. Il est à noter que vous vous êtes bien gardée de tenter quelque geste pour retenir ma chute. Je n’en ai rien déduit, j'ai mis cette observation sur le compte de votre impréparation devant telle situation.


De notre seconde rencontre, il me resta votre éclat de rire qui ponctua ma dégringolade finale. Cependant, dans ma chute, mes yeux ont parcouru la nuit étoilée, de part en part. Cependant, l'espace d'un instant, je vis votre cœur ; celui que vous aviez dessiné dans le ciel, et je devinai celui qui était en vous. Sachez, ma bien aimée, que j'aime tant, que dans le temps que je mis à tomber, j'ai eu le temps de croquer un aperçu du bonheur.

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Un proverbe italien dit : « L’amore supera ogni ostacolo » « L amour surmonte tous les obstacles « .

Cette lettre à thème est d’une infinie tendresse. Elle est une sorte d’allégorie de l’amour romantique.

De plus, le choix de la ville est un réel symbole car, Venise, c’est un peu un songe posé sur le bord de la mer..

Une histoire, deux rencontres…

On y retrouve une certaine âme d’enfant dans laquelle la délicatesse, l’attention, la rêverie, l’émotion, la pudeur des sentiments se mêlent à un brin de fantaisie mais également d’humour...

Jolie description qui m’a faite sourire...avec sa chute...au sens propre comme au sens figuré car la « chute », en langage littéraire, est, effectivement, l’effet de surprise qui clôt la toute fin de…


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