L’homme amoureux va chercher le sens de la vie, en partant vers un atoll inconnu
Journal de Bord - Lundi , Zanzibar
Ma bien aimée
J'étais cette après-midi avec mes frères pagayeurs des eaux bleues où les femmes se jouent des chatoiements du lagon. Nos visiteurs du jour furent finlandais, ils sont là pour une sept jours. Peut-être étaient-ils en provenance des anciennes terres des Indiens d'Amérique pour voir en nous des cousins qui se seraient éloignés de ces derniers. Certes, nos coques se ressemblent, mais il faut dire que les embarcations de pêche, pour peu qu'elles soient faites de quelques bois et bambous, sont toutes semblables. A force de voyages entrecoupés de correspondances, nos pèlerins en quête de vérités, auront certainement vu dans nos tiges de bois qui raclent le fond de l'eau, les pagaies indiennes qui glissent en surface. Il est probable également, que vu de Finlande, nos îles tanzaniennes procèdent du même exotisme que les côtes nord-américaines. Alors, ils nous ont fagotés du terme de pagayeurs, et nous avons gentiment donné notre sourire en échange.
Ma bien aimée, déjà deux ans que je me suis réfugié dans ces terres hier confluent des migrations d'esclavage entre l'Afrique, l'Inde et l'Arabie. A l'heure où le monde parle de réfugiés de guerre, climatiques, ou économiques, suis-je donc le seul homme sur Terre, à être réfugié amoureux ? Amoureux de vous, cherchant le seuil de ma résistance à ne pas vous donner ma vie en échange de la vôtre, désespéré à ne pas avoir trouvé écho à un amour qui me transperce chaque jour.
Après qu'ils furent installés dans leur nid de chaume, nos voyageurs ont souhaité découvrir les coutumes locales, et la ville de pierre qui les abrite. Alors, j'ai accosté auprès d'eux pour ensuite rejoindre les terres. Et tandis que nous parcourions rues et venelles, nous virent deux mondes différents. Aux premiers pas qu'ils firent, j'eus le sentiment qu'ils exhibaient leurs envies d'éblouissement, quand pour ma part, je revivais les heures où votre amour se révélait à moi. Nous ne regardions pas de la même manière.
A l'entrée d'un porche, une femme portait un sari indien, certainement pour préparatifs de festivités. Il s'agissait de l'entrée d'une maison patricienne, mais la présence de cette déesse cousue d'or fit de nos spectateurs les invités d'un palais de nababs et de sultans. Quant à moi, mes yeux restèrent sur les portes aux battants de bois de jaquier qui seront toujours témoins des siècles lorsque la beauté des robes et des êtres aura passé.
Car, ma bien aimée, c'est en ce bois que j'ai décidé de sculpter nos rêves, car lorsqu'il s'agira de construire un réel incontestable, ils auront survécu à tous les climats. Puis, nous avons poursuivi notre chemin. Après les étals de fruits et d'étoffes, nous prîmes le labyrinthe intérieur où les façades de maisons, qui ne sont plus que des murs décrépis, laissent si peu d'espace au passage que nous avons dû y circuler l'un après l'autre. Je fermais la marche. Nous évitâmes les bidonvilles tant ils auraient pu précipiter leur excursion dans un voyage au bout de l'enfer. Nous nous arrêtâmes sur des inscriptions coraniques qui trônaient au fronton d'anciens édifices, peut-être leur signifiaient-elles le mystère d'une culture qui leur était étrangères.
Deux ans que je suis amoureux de vous, et tant d'inconnus que j'ai eu à guider par ici, alors que je n'arrive même pas à être guide de moi-même. Je ne sais plus si je pourrai désormais quitter mon statut de réfugié. Si votre amour est toujours vivant, il a dû jouer de transparence et d'eaux écarlates tant il m'est désormais difficile de l'identifier.
Alors, demain, je quitterai mon embarcation faite de trois planches et de tiges de bambou, pour tirer les voiles d'un boutre, cet ancien bateau aux odeurs de chalutier, et je m'en irai porté par les alizées du Sud, comme les ancêtres du lieu qui charriaient leurs souffrances jusqu'aux destinations lointaines. Quitte à survivre de calamars et de poissons au lait de coco, j'ai bon espoir d'arriver à terme, pour vous retrouver.
Journal de Bord - Mercredi soir 22H30 , Atoll inconnu
Ma bien aimée, deux jours de mer. J'ai échoué sur un récif sous-marin, telle ma vie qui s'est enlisée dans les lacets de la vie. Drôle de fin pour un navigateur qui pensait revenir couvert d'ivoire, de cuivre et de rubis. Mon pauvre navire n'est plus que débris qui n'ont même pas valeur de radeau. Et je suis seul accroché à des algues comme dernier substrat de survie.
Mais, depuis que je regarde le spectacle éblouissant qui s'offre à moi, je commence à comprendre ... Il a été décidé en haut lieu que mon trajet fasse étape sur les raretés du monde, pour que je sois seul à pouvoir en témoigner. Il a été décidé encore plus haut qu'il me fallait poser l'ancre sur la barrière de corail que vous avez créée pour que je sache aimer l'atoll que votre cœur est pour moi.
Il me semble vous aimer.
Je tiens à indiquer que les lois internationales stipulent qu'un site, jusqu'à alors inconnu, appartient à celui qui le trouve. Du reste, il me semble que certains endroits de la barrière de corail sont plus facilement franchissables que d'autres. Qu'il soit précisé à ma bien aimée, que, même si je suis prêt à tout pour trouver son cœur, je ne suis pas encore partant - n'ayant pas d'origine indienne - de pagayer tout l'Océan Pacifique.
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