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Un galet plus fin que les autres

Au terme d'un songe, l'homme amoureux regarde un galet, qu'il imagine en dragée, comme un prélude à un mariage.



Ma bien aimée,


J’ai un aveu.


Non pas qu’il pèse d’un poids trop lourd que je ne saurais le garder, car il est bien des fardeaux plus grands que j’ai su taire, et d’autres augustes secrets que j’ai su cacher. Non pas qu’il s’agisse d’une pensée de friches et d’inculture dont mon âme essayerait de se délivrer, car il n’est pas d’amertume passée ni de retour de chagrin qui pourrait atteindre le bonheur qui s’est levé.


Il s’agit plutôt d’un présent que l’homme sage a su trouver en chemin, une sorte de pierre fine à l’anthracite parfait, décelée sous la marche ensablée dans un océan de dunes, alors que de mémoire de moine, il n’avait vu pour tout objet solide qu’amas de grains cristallisés en rosaces aux angles blessants. Mais, à décrire sa nature par les images qui nous viennent, nous pourrions nous perdre dans les mirages d’un aveu qui tarde à venir, tant chaque mot devient alors le trompe-l’œil de lui-même et finalement l’argument à ne rien dire.


Alors, je propose de prendre ce texte à la hauteur de son intitulé, car il n’est plus l’heure d’en définir son apparence, ni de dire ce qu’il n’est pas, mais au contraire de questionner son contenu.


J’ai confiance à ne jamais avoir posé un mot sur votre corps si l’on ne tient pas compte des exceptions que l’on peut m’accorder. Il faut dire que le sujet nous oblige à une délicatesse, ne serait-ce que par le fait de vous nommer. Parmi ces exceptions, j’ai le souvenir d’ouvertures lyriques caressant vos cheveux jusqu’à m’imaginer les embrasser, et de vos yeux qui fermaient les miens, par la délivrance que les vôtres portaient, par leur vérité dont je ne pouvais fixer l’horizon, tel le prisonnier attelé pendant des années de nuit aux chaines des tréfonds, et qui ne peut plus regarder la lumière.


Dans mes songes qui se révoquent à tout moment, j’ai dû voir vos mains, mais je n’ai sur elles que si peu écrit. L’une d’entre elles vient vers moi par l’offrande de la comtesse à son cochet, non en premier geste d’un amour possible, mais pour seule finalité de lui donner l’inspiration de son écriture et de sa libération intérieure, celle que je trouve dans le sommeil des autres, lorsque la nuit me laisse seul pour trouver l’expression silencieuse.


Votre main. J’ai tant rêvé l’approcher pour le seul plaisir de vous surprendre, sans oser le geste jusqu’à son terme. Peut-être m’auriez-vous accordé le droit de la regarder pour désaccorder ma raison, peut-être m’auriez-vous alloué le privilège de l’embrasser pour que je rende les armes, mais au prix de mes larmes.

Peut-être m’auriez-vous mis devant l’épreuve d’y déposer un baiser sans que mes yeux ne plongent dans les profondeurs personnelles. J’ai tant de fois essayé de m’y préparer afin que je puisse les laisser au moins légèrement ajourés pendant que l’émotion amoureuse m’aurait envahi.


Car rien n’est plus jeune que mon cœur qui bat, et rien n’est plus vieux que l’ordre d’un monde qui n’articule que des valeurs inertes, indéfiniment identiques à elles-mêmes. Mais de vos mains, dont on pourrait penser qu’elles ne sont que les extrémités ouvrières de votre corps, me viennent des appels à l’insurrection contre ma propre morale, que je croyais éternelle.


Peut-être ne l’avez-vous jamais remarqué, car vous ne les voyez pas par le même angle par lequel je les vois. Leur désordre apparent est toujours innocent, et s’ils pointent parfois vers des axes différents, vos doigts reprennent rapidement une exposition vers le ciel, captant les foudres qui en descendent, avant de se retourner vers la terre, pour signifier qu’ils seront toujours des émanations telluriques du monde. Et si parfois ils se croisent, c’est pour se former en croix d’attelle, point de départ de fils de soie qui conduisent mes allées et venues, comme les marionnettistes ensecrètent leurs figurines articulées.


Mais c’est de leur douceur dont je n’ai jamais osé vous parler. Je dois maintenant passer aux aveux, ne serait-ce que pour vous en informer. Pourtant, il s’agit ici d’un pur produit de ma subjectivité, un mélange de cause perdue et de rêve qui varie avec les strates dues à mon âge, un concept éthéré qui ne sait s’il peut croire à son existence. J’avais prévu de toucher la douceur de vos mains, mais différemment que vous pouvez le penser.


Une fois embrassée, votre main aurait été protégée par deux velours incurvés, car les mains du cochet se doivent d’être gantées. Puis, je l’aurais déposée à l’horizontale, et c’est ici que mon aveu se dévoile. D’ordinaire toujours très prompt à suivre la meilleure des conduites, j’avoue que j’aurais mis la situation à mon avantage, pour que l’une de mes mains, dont j’aurais enlevé le gant au dernier instant, ait pu caresser le bout de vos doigts, comptant sur le fait que vous auriez considéré le geste aussi involontaire qu’innocent, ou suffisamment élégant pour qu’il fût accepté.


A la vitesse à laquelle le pétale se déploie, le geste aurait duré la saison, ce que vous aurez jugé bien long, mais c’est toutefois bien moins que les décennies nécessaires pour maîtriser la saisie des rênes ou la tenue de l’archet. J’aurais imprégné quelques nuances de pression tout au long du parcours, d’abord par le fait j’aurais été nécessairement astreint à suivre le profil de vos doigts, mais aussi en raison de la nécessaire interprétation qu’il convient d’appliquer à toute ballade.


Il n’y a pas d’œuvre qui n’ait été conçue en dehors de l’interprétation qu’elle suppose, et votre main n’échappe pas à la règle, pas plus que les compositions des romantiques du XIXème siècle. Vous me permettrez donc d’imaginer que jusqu’à la bordure de leurs extrémités, vos doigts fassent l’objet d’autant de nuances que la science le permet. Il faut se référer à la marche de l’homme sage dont nous avons parlé, dont le rythme est au faible pas, non pas par la fatigue de son corps, mais par la nécessaire lente contemplation des charmes de la Nature.


J’imaginais une présence passive de votre part, mais d’un silence entendu, d’un agrément suggéré, au mieux de demi-mots me laissant la gouvernance jusqu’à fin de mandat. Au terme, peut-être m’auriez-vous regardé, lorsque mes doigts auraient quitté les vôtres. Peut-être suis-je dans l’erreur, mais, je n’imagine pas de réponse corporelle, d’humeur prononcée, ni même d’intention contraire de votre part. Je pense que vous l’auriez accordé.


Malheureusement, ce rêve est arrimé à un dessein difficile, car par sa condition sociale, le cochet n’est jamais au service de son propre cœur, il suit là où le vôtre veut l’emmener. Mais, il se trouve, qu’un jour, descendant de l’attelage, j’avais marché le long des plages, et avais trouvé un galet plus fin que les autres. Il n’était pas de pierre, il avait la ligne et la beauté d’une amande, et le caressant, j’ai cru caresser votre main.


J’aimerais tant vous l’offrir en dragée, pour peu que vous consentiez au mariage.


J’ai l’infini honneur de vous demander votre main.

1 Comment


«  Les mains sont des symboles et, parfois, des révélations « 

Il paraît que les espaces entre les doigts de la main ont été créés pour laisser une autre personne les combler…

Quel joli texte onirique et romantique sur la symbolique de la main pour une demande en mariage !

La main….La continuité du corps… Élégante, raffinée, capable de sentir, de recevoir, de prendre, de donner, de toucher, de caresser…

La main devient alors «  la fenêtre de l’esprit « ...On rêve et on imagine….

Car, la main, en fait, c’est le lien….Le premier lien d’un amour naissant et l’aboutissement d’un amour offrant…

On donne sa main comme on offre son cœur pour s’unir dans la vie…

Et, ce galet plus fin…


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