Point de départ
L'herbe pousse sans que l'on n'y prenne gare. Pour ma part, elle prit vie vers mes seize ans. Alors que je m'orientais vers un cursus scientifique, la graine de l'écriture venait d'être semée. J'étais aidé en cela par mon professeur de Français de Classe de Première, au Lycée Chaptal, à Paris. Il s'appelait Monsieur Philippe. C'était l'époque où les ouvrages de Lagarde et Michard constituaient le socle et l'épreuve pour s'approprier la culture littéraire française. Issu d'une ligne généalogique paternelle venant des juifs de Tunis, et d'une ligne maternelle française venant de l'Allier, les premiers ne sachant ni lire ni écrire, les seconds ayant arrêté leur scolarité très tôt, j'ai approché la culture française avec la volonté d'épouser la France. Et la passion de l'écriture prit racine. C'était aussi l'époque et le lieu où il fallait présenter 80 textes au Bac Français, toutes les vacances scolaires y étaient consacrées, en parallèle à mon activité pianistique. Le Bac Français présenta trois sujets, je pris le Commentaire Composé sur un texte de Marcel Arland "Terre Natale". Puis, les résultats sont tombés. Nous étions en 1983.
Ce n'est que deux ans plus tard, en 1985, que je reçus une lettre d'un écrivain, Monsieur Paul Désalmand (Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure de l'Enseignement Technique, Docteur ès lettres), travaillant pour les Editions Hatier, m'indiquant qu'il avait pris connaissance de ma copie de Français, et qu'il voulait l'intégrer dans l'ouvrage "Les bonnes copies du Bac". Je l'ai donc rencontré, ce qui m'a donné l'occasion inattendue de revoir ma copie ainsi sortie des tiroirs de l'Education Nationale, et de faire un premier pas vers son univers d'écrivain. Quelques temps plus tard, je reçus un exemplaire de l'ouvrage, dans lequel ma copie était non seulement présentée, mais aussi choisie pour modèle pédagogique au sein d'une quinzaine de copies. C'est alors que j'ai eu la confiance pour prolonger mon intérêt pour l'écriture.
L'ouvrage des Editions Hatier
Les parisiens savent trouver leurs instants de rêverie, le long des quais de la Seine, s'arrêtant ici ou là pour le romantisme mais aussi pour explorer les trésors des bouquinistes qui présentent leurs antiquités au sein de stands en bois posés ou accrochés aux murets d'enceinte du fleuve. C'est en ce lieu, qu'à l'âge de 18 ou 20 ans, je me suis arrêté devant un collectionneur de cartes postales anciennes. Sans attirance particulière pour le sujet, j'ai feuilleté le contenu des boites, et suis tombé sur une carte postale présentant une rue d'un village français des années 1910, et enrichie au verso, d'un texte d'une légère indiscrétion affective, dont le style m'a touché, au point de générer en moi l'envie de revivre son histoire. Une graine de plus venait d'être semée, pour m'amener un jour à l'écriture.
Le même endroit, un siècle plus tard. Les structures sont les mêmes. Quelques fenêtres en plus dans la maison de pierre. L'hôtel du Lion Noir a disparu mais est resté un commerce. Les voitures ont bien-sûr pris le dessus sur les moyens de locomotion de l'époque. Le clocher est toujours là. La route a été bitumée. Les deux dames traversant la route, l'une en robe, l'autre en tablier blanc, ont largement eu le temps depuis, de rejoindre l'autre rive. Mais les messieurs attablés à leur béret et à leur verre de vin, animant le trottoir d'en-face, ne sont plus là. Leurs visages donnant la vie à l'image ancienne, ont été détrônés par des visages floutés et anonymes.
Revenons à la carte postale. Il s'agissait d'un mot d'amour commençant par les mots "Mon bien aimé". Ces mots suffisaient à m'indiquer ce que pouvait être l'expression amoureuse de cette époque, qui, dans le cas présent, amenait la preuve d'une délicate distance entre l'un et l'autre, et l'existence d'un amour nécessairement manié avec prudence par le fait qu'une carte postale est sujette à être nécessairement soumise à l'éventuel regard indiscret d'un facteur ou d'un tiers. Les mots de cette femme, traduisant son attente amoureuse, dite dans une élégance du quotidien, ont été pour moi, une invitation à écrire dans le même esprit. "Après tout", me disais-je, "... pourquoi faudrait-il se plier aux normes des temps modernes, qui bien souvent réduisent l'expression au juste minimum ?".
Attiré par l'écriture, j'ai toutefois poursuivi mes études dans le domaine scientifique. Mais, l'écriture resta un champ d'exploration, certainement en raison du fait qu'elle était le seul vecteur pour me rapprocher de l'époque romantique, des temps où les habits ressemblaient à ceux des peintures de Renoir, et où une certaine élégance du langage était encore de mise. Puis, pendant des années, je mis mon goût pour l'écriture au service de mon activité professionnelle, car les mots sont toujours utiles pour convaincre et délier, mais je laissais mes écrits personnels dans le domaine privé. Puis, j'ai publié des recueils de poèmes, des lettres à thème. Et c'est à partir de 2015 que j'ai commencé l'écriture d'ouvrages plus étoffés, que j'ai soumis à des éditeurs.
J'ai en mémoire les mots de mon professeur de mathématiques de Classe de Première, Monsieur Kruger, à Chaptal Paris, qui expliquait à un élève uniquement intéressé par les lettres et qui déconsidérait les mathématiques, que "l'esprit est un", et que l'on ne saurait le compartimenter en disciplines disjointes. Je m'appuie sur ses propos pour témoigner que Victor Hugo, Frédéric Chopin et Renoir, sont d'une même fibre. Trouver le contact approprié sur un clavier de piano est similaire à la recherche du mot qui convient sur le papier. Toujours est-il que l'effet de l'onde, à destination, est le même; on peut donc en déduire que les sources sont équivalentes.
Me concernant, s'agissant de la peinture, il est trop tard pour m'exprimer à travers elle, tant cette compétence nécessiterait une vie supplémentaire, mais s'en inspirer reste encore possible. Les lecteurs de mon roman "La Preuve Irréfutable" auront peut-être vu des points de ressemblance entre ces tableaux et l'un des personnages du livre. A regarder ces peintures, j'ai le sentiment que la civilisation dont nous sommes issus reviendra à cette perception du monde, après avoir épuisé toutes les voies expérimentales qui l'ont contrariée depuis. Ici, la grâce de l'artiste est là pour laisser le beau perdurer, et rendre le reste révocatoire à tout moment.