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A bord de l'avion d'El-Al

Date : 5 Août 2017


Ce qui suit aide à démontrer que chaque moment vécu mérite que l’on y prête suffisamment attention, et que l’effort livré sert à notre compréhension sur le monde.


Les passagers embarquent dans le vol ELAL de 23H30 qui transportera ses passagers de Paris vers Tel-Aviv. Conséquence du fait de ne pas avoir réservé une place spécifique au sein de l’avion, le siège que le système informatique m’assigne se trouve précisément au dernier rang de l’avion, laissant ainsi le destin m’indiquer en filigrane que c’est également le rang scolaire que j’aurais mérité en d’autres temps. Pour autant, la situation ne m’est pas défavorable par le fait que ma position est en immédiate proximité des hôtesses et des réserves alimentaires, mais aussi, dans un autre registre, juste devant les toilettes - et nous verrons bientôt, en quoi ce point est important.


Dans un premier temps, l’avion se remplit sans une aspérité particulière. Puis, une certaine agitation apparaît, on entend clairement du brouhaha adolescent résultant d’échanges animés entre une quarantaine de jeunes qui viennent prendre place. Ma voisine de droite, jette un regard analytique sur ces éclats de voix, et sur ce remue-ménage qui approche de la queue de l’appareil, si bien que l’inquiétude devient prédominante dans son expression. Je ne pouvais prendre le rôle consistant à la rassurer, considérant d’abord qu’elle était accompagnée, à sa droite, de son mari, et en raison aussi que mes propres craintes valaient bien les siennes. Nous étions partagés entre l’espérance que le calme revienne rapidement, et la peur que l’agitation ne dépasse le seuil limite qui pourrait remettre en cause le bon respect de l’heure de décollage. Voulant peut-être se retirer de cette anxiété, je vois ma voisine plonger dans la manipulation de son SmartPhone, cherchant une option d’un sous-menu improbable pour gérer une fonction devenue soudainement indispensable. Ce faisant, je comprends que mes voisins sont français, en vacances d’été en Israël.


Les jeunes occupent désormais toutes les places devant nous, à gauche, à droite, devant, sur plusieurs rangées. Les paroles sont en arabe, ce qui m’interdit de les comprendre, alors je me fie aux gestes et à l’expression des visages, pour tenter de palper s’il ne s’agit que d’échanges haut en couleur, ou plutôt de préalables à des échauffourées, dont je pourrais être victime pour simple effet de ricochet. Dans le groupe, des adolescents plus proéminents que d’autres pourraient rivaliser sans difficulté avec des boxeurs catégorie mi-lourds. A ma place, j’ai une vue panoramique sur l’évolution des forces en présence. Je note la présence de quelques femmes musulmanes les accompagnant, il ne peut s’agir de mamans de certains d’entre eux, elles semblent plutôt avoir un titre d’encadrement à défaut d’en assurer le rôle.


Cà continue de parler aux limites de la dispute, et mon inquiétude est réelle, car un groupe d’humains a ceci de différent d’un groupe mathématique qu’il se caractérise toujours par le fait d’être incontrôlable. Une hôtesse catégorie super-plume vient faire le lien avec ces jeunes, et leur demande de s’asseoir calmement, et d’attacher leur ceinture. J’entends alors l’hébreu se mêlant à l’arabe. Maintenant, il n’y a plus de doute, il ne s’agit pas d’un groupe de jeunes français, directement venus du 93, partant en croisade pour construire leur Palestine, il s’agit bien d’israéliens arabes terminant leur séjour à Paris, et prenant l’avion du retour vers Israël. Étrangement, je vois ces jeunes convenir aux recommandations de l’hôtesse, sans geste provoquant, ni parole déplacée, et même avec un certain respect. Dans un premier temps, je déduis que ces jeunes agissent ainsi en révérence à la beauté qui se présente à eux. Il est vrai que l’hypothèse est fondée, même si cette beauté n’atteint pas celle de la Comtesse de ChateauBriand.


Toujours est-il que le calme relatif revient. Et l’avion décolle.

Le repas arrive assez tôt. Au menu, signe peut-être diplomatique du point de concours entre les populations juives et arabes réunies dans cet avion, il nous est servi un couscous accompagné, d’une sauce qui tâche. Les gestes de mes voisins adolescents gardent leurs aspects théâtraux, quelques invectives ici ou là, ce n’est peut-être qu’une manière de parler qui tient à leur éducation ou à leur âge. Tout à coup, je vois une chaussure lancée d’un côté de l’avion, survolant quelques rangées, et atterrissant 5 mètres plus loin, passant au-dessus des têtes de certains. Le geste n’est pas aussi agressif que le jet de chaussure qui cibla George Bush II, lors d’une de ses interviews célèbres, mais mes yeux demi-centenaires perçoivent, en cela, une certaine tension dans l’atmosphère. Pourvu qu’un plat de couscous, accompagné de sa sauce, ne se dirige pas dans ma direction ! Pour un peu, j’aurais profité de l’occasion pour expliquer à ma voisine, l’application des théorèmes de la Relativité d’Albert, dans la situation d’un plat de couscous en mouvement parabolique, dans un avion lui-même en mouvement, mais elle s’était déjà positionnée en situation de repos, cherchant un sommeil impossible, et ayant renoncé à son repas.


Le vol poursuit sa route. Après le repas, je vois ces jeunes apporter leur plateau aux hôtesses situées en queue d’appareil, avant même que le personnel de l’avion ne se charge du ramassage. Comme si ces hôtesses avaient le rôle de maîtresse d’école, aux temps où les élèves imprimaient leur comportement d’un respect permanent. Je suis perplexe devant ce souci de bien faire, si éloigné de la première impression qui s’était dégagée de ce groupe. Pendant un bon moment, en permanence, soit pour apporter leur plateau-repas, soit pour aller parler aux hôtesses, soit pour aller aux toilettes, ces jeunes passent à côté de mon siège, m’interdisant de trouver un peu de repos. Mais grâce au ciel, notre petit monde s’endort progressivement, sauf certains qui regardent calmement un film ou s’amusent avec leur téléphone. Et après quelques heures, l’avion est sur le point de gagner Tel-Aviv. Et c’est là que tout se joue. C’est là que ma compréhension du monde évolue, mais avec des équations supplémentaires.


L’avion atterrit avec une qualité opérationnelle normale. Et les jeunes arabes, tout autour de moi, applaudissement. Les femmes arabes font de même. Je ne note pas si les autres passagers font de même, je suis exclusivement attentif au comportement de ces jeunes, si spontané, si sincère, et si inattendu. Mais qui sont ces jeunes arabes, dont tous les codes comportementaux nous inviteraient à penser qu’ils sont en situation d’opposition par rapport à la société, qui applaudissent à tout rompre lorsque l’avion touche la Terre d’Israël ? Qui sont ces arabes, dont une partie de la presse étrangère affuble du titre de citoyens israéliens de seconde zone - au motif de l’idée qu’elle se fait de la réalité de notre pays - félicitant par la joie, celui qui est aux commandes de l’avion ? Où se trouve le prétendu apartheid, dans lequel des jeunes font quelques « hourra » et aucun « Allah Akbar » en retrouvant la Terre d’Israël?


Alors bien sûr, tout n’est pas rose, en ce monde. Et des oppositions politiques existent entre les différents peuples du pays. Mais, j’ai assisté à cette scène. Elle fut vécue précisément comme je la décris. Et encore aujourd’hui, elle ajoute une équation supplémentaire à ma compréhension de la vie locale. Il y a, dans la population arabe, des opposants à la cause nationale, qui préparent et font des attentats. Et il y a d’autres qui applaudissent lorsque le commandant d’un avion de la compagnie israélienne ELAL, marquée de l’étoile de David, atterrit en Israël.


On dira ce que l’on veut, il y a des choses que je n’avais pas imaginées.


4H45 du matin. L’avion s’est posé. Vu ma position, je sors en dernier de l’avion. De rangée en rangée, de part et d’autre, les coussins et couvertures s’entremêlent sans ordre, ils couvrent le sol comme s’il s’agissait d’un champ après bataille. Je compris qu’il s’agissait peut-être uniquement d’une bataille de polochons. Je gagnais la voiture, songeant à terminer bientôt une nuit que je n’avais pas commencée, en retrouvant chez moi un oreiller que j’estimais avoir bien mérité.

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